Awa (pseudo), une femme révoltée, écrit une lettre à son clitoris, coupé quand elle était petite. L’absence de cette partie importante de son sexe a laissé un vide. « Pourquoi t’ont-ils coupé, alors que tu n’étais une menace pour personne ? Pourquoi m’ont-ils privé du plaisir sexuel en me débarrassant de toi ? », demande-t-elle.
Cher organe aujourd’hui disparu,
Je t’écris cette lettre pour te dire à quel point tu me manques. Je sais, cela doit t’étonner car on t’a coupé à un moment où je ne te connaissais même pas. J’étais trop petite pour en garder un quelconque souvenir. Âgée d’à peine un mois, quand ma grand-mère m’a conduite chez Ami Kanté, l’exciseuse. Cette grosse femme, qui certainement n’avait plus de cœur, à force de mutiler des filles de tous âges, du village à la ville, contre si peu de choses. D’ailleurs, je me demande ce que grand-mère a dû lui donner pour qu’elle nous sépare à jamais.
Cette douleur ne m’a jamais quittée
Je me dis que toi aussi, au moins, devrais avoir un souvenir de cet horrible jour. D’ailleurs, es-tu vivant ? Reste-il une part de vie en toi ? Moi, c’est une part de la douleur qui me reste. Un vide immense, ou plutôt, la cicatrice, si douloureuse, qui me rappelle que tu étais là, et que ce sont celles qui devaient me protéger contre tout assaut extérieur qui m’ont livrée à cette femme-là. Tu dois te demander comment j’arrive à garder encore le souvenir de ce jour atroce où elles m’ont fait cela.
Eh bien mon cher, sache que cette douleur s’est incrustée dans mon esprit et elle est restée là, sans bouger, toute ma vie de femme. Je ne pourrais pas te dire que c’est une douleur physique, mais il m’est arrivé d’essayer de comprendre pourquoi elles m’ont coupé une partie aussi intime de mon être. J’y laissais traîner le doigt, ne sentant presque rien. Juste la cicatrice qui semble comme surveiller ce qui se passe plus près.
Le sexe n’est qu’un devoir conjugal
Tu dois te demander quel type de sexualité j’ai eu sans toi, la partie la plus importante dans ce qui aurait pu être mon point G. Eh bien rien. Nada ! Je n’ai jamais rien senti. Je suis restée comme anesthésiée par la douleur que j’ai dû ressentir.
Je me suis mariée, j’ai eu cinq enfants dont j’ai accouché sans grandes difficultés. Ils sont bien beaux, en bonne santé, leur père est plutôt bien comme homme, il est très aimant et prend son rôle de mari au sérieux.
Mais, il doit certainement savoir que je suis frigide. Le sexe n’est pour moi qu’un devoir conjugal. D’ailleurs, peut-il être autre chose ? Les autres femmes ont-elles des sensations en faisant ce sport si cher à mon mari ? Hum ! je ne sais pas.
Pour qui étais-tu une menace ?
Je ne devrais pas te poser la question, car tu n’as pas eu la vie facile non plus. Tu n’as d’ailleurs pas eu de vie, vu la manière dont les sorcières t’ont arraché de moi, grillant mes nerfs, et faisant de moi cette personne froide, qui ne fait que regarder sa pauvre vie se dérouler sans aucun attrait.
Mon pauvre. Tu dois te dire que je suis une grande provocatrice, car toi tu n’as même plus vécu.
Tu dois avoir disparu, complètement décomposé depuis ces longues années…
Je suis désolée, mais il me fallait t’envoyer cette lettre comme pour faire une introspection. C’est si simple de prendre la décision de couper le clitoris dans ce pays. À croire que cet organe représente une menace. Pourtant l’organe de l’autre, l’homme, celui pour lequel ils font cette atrocité, est beaucoup plus dangereux. Lui viole, enceinte des petites filles qui peuvent mourir en couche, visite les prostituées et véhicule largement les maladies sexuellement transmissibles d’une femme à l’autre.
Cher clitoris, ne soit pas triste. J’ai eu des joies sans toi. D’autres joies. J’ai eu des satisfactions. Notamment celui de ne pas avoir une fille que l’on m’aurait obligé à exciser. D’ailleurs, je n’ai même pas insisté pour qu’on circoncise mes fils. Leur père s’en est toujours occupé et je dois dire que ce sont des plaies différentes ; elles se cicatrisent vite. Le prépuce qu’ils enlèvent semble n’être qu’un bout de peau qu’ils sont pressés de couper. C’est différent.
Serais-je différente si tu étais encore là ?
J’ai 50 ans et je ne cesse de me poser des questions : est-ce que je serais devenue cette personne peu expressive et sexuellement inexistante que je suis devenue ? Peut-on retrouver des sensations avec une opération ?
Tu ne dois pas avoir de réponse à me donner.
Ce n’est rien. Je ne t’en veux pas. Je n’en veux à personne.
Ceux qui t’ont coupé m’ont tuée à petit feu en mettant fin à ta vie.
J’espère que la vie n’est pas trop dure pour toi, là où tu te trouves.
J’imagine que tu n’es pas seul et que tous les organes coupés pour ces raisons hypocrites se trouvent avec toi, et je sais bien que tous les jours de nouveaux viennent s’ajouter au nombre.
Je ne sais pas trop quoi te dire pour finir ma lettre.
À bientôt ? Alors que je sais que nous ne nous verrons jamais ?
Au revoir ? Nous ne nous reverrons pas.
À jamais.
Cela peut convenir.
À jamais, très chère partie de mon sexe.
Je sais que je ne te retrouverai jamais.
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