C’était chaud, le mercredi 11 juillet 2018, à Yopougon-Camp militaire. Un village de ce quartier de la plus grande commune d’Abidjan, à savoir B.A.T, en référence à l’entreprise Bois Afrique tropicale, où travaillaient dans les années 1960 plusieurs habitants, a été rasé.
Ce déguerpissement jette ainsi à la rue plus de 20.000 familles, dont plusieurs ont tenté de sauver quelques biens. En vain. Plus de 200 policiers, gendarmes et militaires déployés sur les lieux ont fait usage de gaz lacrymogène pour les en dissuader et les éloigner de leurs maisons. « On ne nous a même pas permis de sortir nos affaires. J’ai tout perdu. Argent, habits, ustensiles de cuisine, même mes diplômes, tout ! C’est méchant », a explosé Solange Gbamou, une des déguerpis, qui s’est confiée à nous peu après la fin de l’opération. Elle a avancé n’avoir reçu aucune mise en demeure pour se préparer à quitter le site où elle vit en location depuis plusieurs années. « Si on voulait nous jeter dehors, on pouvait au moins le faire avec un visage humain. Maintenant qu’on m’a tout pris, comment vais-je refaire ma vie ? », interrogeait-elle, avant de fondre en larmes. A quelques pas de chez elle, dame Cathérine Kouassi, une sexagénaire veuve, remuait les décombres de sa maison dans tous les sens, espérant ainsi y trouver quelques biens à sécuriser. Les yeux larmoyants, elle nous lançait : « Où vais-je dormir avec mes enfants ? ».
Chez sa voisine, Sali Ouattara, commerçante, l’émotion est de mise. Sur les ruines de sa maison réduite en amas de gravats, elle protestait contre la méthode employée pour le déguerpissement. « On ne nous a même pas prévenus. C’est depuis 11h que 4 bulldozers ont commencé à casser nos maisons. L’opération a été encadrée par des centaines de policiers, de gendarmes et de militaires venus ici à bord de 14 cargos. Notre quartier a été transformé en champ de bataille pour venir nous prendre le peu de biens que nous avions. Plus rien n’est récupérable. Ceux qui ont tenté de sauver des biens ont été bastonnés par les corps habillés », dénonçait-elle, la voix enrouée par l’émotion.
Les éclairages du chef du village rasé.Comment les déguerpis se sont-ils retrouvés dans cette situation ? Sur la question, le chef de B.A.T, Konan Yao, fait des éclairages. « Nous sommes sur un site de 81 hectares dont le titre foncier 189 a été accordé à un commandant français du nom de Picard depuis 1948. En 1969, alors que le titre foncier avait expiré, son épouse est venue de France et a vendu 10 hectares du site au groupe Bolloré. Nos parents qui travaillaient à Bois Afrique tropicale occupaient 4 hectares où le village B.A.T a été bâti. Toutes ces années, nous avions vécu tranquillement jusqu’en 2014. C’est cette année-là que le secrétaire général du Syndicat national des banquiers, établissements financiers et assureurs de Côte d’Ivoire (Synabefaci) vient nous informer qu’il est désormais le propriétaire des lieux, que son titre foncier couvre notre village et qu’il allait raser le site », informe le chef du village de B.A.T. Le mis en cause, à l’en croire, a indiqué que 64 hectares, y compris les 4 hectares du village déguerpi hier, lui ont été vendus par l’épouse du commandant Picard. « Une semaine avant le déguerpissement, il nous a convoqué au camp de gendarmerie d’Agban. Là, il nous a informés qu’il a un ordre de démolition signé par le procureur de la République. Ce document, nous ne l’avons jamais vu. Mieux, nous n’avons jamais été assignés en justice. Dans ce cas, on aurait été préparés à ce déguerpissement inhumain », soutient-il.
Joint au téléphone, à 20h08, pour avoir sa version des faits, Nickel Guébo, secrétaire général du Snabefaci, déclare être au volant de son véhicule et nous demande de le rappeler dans une heure maximum. Au moment où nous bouclions à 21h37, toutes nos tentatives pour le joindre étaient infructueuses. Le syndicaliste ne répondait pas à nos incessants appels.
L’autorité communale saisie. Bien avant, le leader traditionnel informait que les déguerpis confient désormais leur sort au premier magistrat de Yopougon. Un sit-in est d’ailleurs annoncé à la mairie située au quartier Selmer, ainsi qu’une rencontre avec le maire Gilbert Koné Kafana. Il s’agira de lui confier le dossier et solliciter l’assistance de la municipalité pour le relogement des habitants qui se retrouvent à la rue en cette période de pluies diluviennes.
TRAORE Tié
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