S’en griller une petite, rien qu’une. Dans l’esprit des « petits » fumeurs, qui peuvent compter sur les doigts de la main leurs cigarettes quotidiennes, tout va bien si l’on s’en tient à un nombre limité de clopes plaisir. Celle d’après-déjeuner, celle qui accompagne le café ou encore celle que l’on s’allume pendant un apéro entre amis sont sans doute pour eux les plus irrésistibles et savoureuses. Après tout, si l’on fume si peu, il n’y a pas de mal non ? Pas si sûr. Même une faible consommation de tabac expose à un risque cardio-vasculaire, alerte la Fédération française de cardiologie (FFC) à l’occasion ce jeudi de la journée mondiale sans tabac, dédiée cette année au risque cardio-vasculaire du tabagisme.
Tabac, infarctus du myocarde et ménopause précoce
Si le grand public a traditionnellement tendance à associer tabac et cancer, fumer expose aussi à un grand risque de maladies cardiovasculaires. Ainsi, aujourd’hui encore, « le tabac reste la première cause de mort évitable » et coûte la vie à 200 personnes chaque jour en France. C’est aussi « la première cause de cancer et la deuxième cause de maladie cardio-vasculaire », a rappelé cette semaine le ministère de la Santé à l’occasion d’un point d’étape sur la lutte contre le tabagisme engagée par le gouvernement.
« Le tabac n’attend pas pour faire peser un danger sur le cœur et les artères, avertit le Pr Daniel Thomas, cardiologue et président d’honneur de la FFC. A court terme, il favorise le rétrécissement brutal des artères et la formation de caillots et l’apparition de troubles du rythme cardiaque. Deux phénomènes qui entraînent des accidents cardio-vasculaires brutaux comme l’infarctus du myocarde ou encore l’accident vasculaire cérébral ». Et les fumeurs jeunes n’échappent pas aux dangers du tabac, un facteur de risque précoce très important chez eux, puisque « 80 % des victimes d’infarctus âgées de moins de 45 ans sont des fumeurs, et les cas d’infarctus du myocarde chez les femmes de 45 à 55 ans augmentent de 5 % chaque année », indique le cardiologue. Un risque en cachant souvent un autre, « chez les femmes, le tabac est aussi responsable de ménopauses précoces, prévient le Dr Saldmann. Fumer accélère l’âge de la ménopause et retire de la jeunesse aux femmes ».
Les « petits » fumeurs pas épargnés
Mais si l’on fume juste une cigarette par jour, pour accompagner son café, que peut-on bien risquer à s’accorder ce petit plaisir ? « Le café-clope, j’appelle cela la "cigarette du condamné" », répond le Dr Frédéric Saldmann, cardiologue et auteur de Votre santé sans risque* (éd. Albin Michel). Car même les tout petits fumeurs ne sont pas épargnés par le risque que fait peser le tabac sur la santé. « C’est une pensée nouvelle, observe le Dr Saldmann. Jusqu’à récemment, on pensait qu’il n’y avait pas de risque particulier pour ceux dont la consommation de tabac était très faible. Or, on sait désormais que fumer ne serait-ce qu’une cigarette par jour augmente significativement le risque d’accident cardiovasculaire et de maladies coronariennes ».
Un risque qui bondit de « 48 % chez les hommes et de 57 % chez les femmes dès la première cigarette quotidienne, comparé à un non-fumeur », complète le Pr Daniel Thomas, citant les résultats de l’étude « Coronary Artery Risk Development in Young Adults » (CARDIA). Une étude menée par une équipe réunissant des chercheurs de plusieurs universités américaines qui a passé au crible les données de plus de 3.000 participants surveillés médicalement durant trente ans et répartis dans plusieurs groupes : gros fumeurs, petits fumeurs, fumeurs occasionnels, ex-fumeurs et non-fumeurs. « Réduire sa consommation de tabac ne suffit pas » Pour certains, la voie de la rédemption tabacologique passe par une baisse du nombre de cigarettes fumées. L’intention est louable, mais on sait désormais qu’une seule cigarette quotidienne suffit à faire des dégâts. C’est pourquoi
« réduire sa consommation de tabac ne suffit pas, c’est l’arrêt définitif de la cigarette qu’il faut atteindre », clament de concert le Pr Daniel Thomas et le Dr Frédéric Saldmann. « Il faut arrêt net, il n’y a pas de demi-mesure », martèle le Dr Saldmann. L’intérêt est-il mesurable pour un gros fumeur ? « Pour se protéger des méfaits du tabac, la réduction du tabagisme est encourageante, mais insuffisante : un gros fumeur qui réduirait sa consommation de 20 à 12 cigarettes par jour conserve le même risque de développer une maladie cardiovasculaire, insiste le Pr Thomas. Et le risque lié au tabagisme passif est très concret lui aussi, puisqu’il augmente en moyenne le risque d’infarctus du myocarde de 25 % des non-fumeurs exposés au tabagisme des autres ».
Des préconisations très tranchées qui s’inscrivent dans la lignée des résultats observés durant la fameuse étude CARDIO. En comparant les différents groupes étudiés, les chercheurs ont évalué que les petits fumeurs avaient une plus mauvaise capacité respiratoire que les anciens gros fumeurs qui avaient arrêté le tabac.
Accompagner efficacement les fumeurs vers l’arrêt définitif du tabac
Mais on peut être un tout petit fumeur et avoir toutes les peines du monde à se défaire des quelques clopes fumées chaque jour. Comment accompagner ces petits fumeurs vers l’arrêt définitif du tabac ? « En leur faisant prendre conscience du côté comportemental de leur rapport à la cigarette, répond le Pr Thomas. En les convainquant des risques encourus malgré leur faible consommation, en entretenant leur motivation à arrêter de fumer – plus de confort dans le sport, un teint et une haleine plus frais —, mais aussi et surtout en les accompagnant efficacement vers l’arrêt définitif du tabac », prescrit le cardiologue.
Pour certains, « l’hypnose peut être une méthode adaptée, elle présente de très bons résultats, assure le Dr Saldmann. Cela permet de casser cette addiction ». Mais si « la cigarette est hautement addictive, pour autant, rares sont ceux qui font la démarche de se faire accompagner par leur médecin traitant ou un tabacologue », constate pour sa part le Pr Thomas. Toutefois, les dernières mesures dégainées par le gouvernement pour lutter contre le tabagisme pourraient avoir des effets positifs. « Le remboursement des substituts nicotiniques, qui vient d’entrer en vigueur, est une très bonne chose, qui envoie deux messages forts : d’abord, ce sera plus motivant parce que le coût financier de ces dispositifs sera allégé pour le fumeur, souligne le Pr Thomas. Ensuite, cela véhicule un message de fiabilité et d’efficacité : si c’est remboursé, c’est que ça marche », analyse-t-il. Et pour que le sevrage tabagique soit efficace, « il ne faut pas hésiter à se faire accompagner, parce que cela peut prendre du temps de trouver le bon dosage, qu’il faut par ailleurs ajuster en fonction de sa consommation et de son envie de fumer. Les gens arrêtent souvent trop tôt en se disant que ce n’est pas efficace alors que s’ils ont envie de fumer malgré le port du patch, c’est en réalité le signe d’un traitement sous-dosé. Mais si on ne le sait pas, on ne peut pas le deviner ».
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