Celui qui a fait du « Parlement du rire » de Canal+ un phénomène continental veut ouvrir une école à Niamey et un Comedy Club à Abidjan, où Paris Match Afrique l’a accompagné. Le but de Mamane : faire émerger une scène d’humoristes 100 % africaine.
Ses chroniques de « La République très très démocratique du Gondwana » font se tordre de rire les auditeurs de RFI et trembler les chefs d’Etat. A 51 ans, Mohamed Mustapha, alias Mamane, déborde de projets : après le succès de son gala parisien « Sans visa 2 » et la réussite de « Bienvenue au Gondwana », le film le plus rentable de l’année 2017 en Afrique devant « Fast & Furious 7 », le Nigérien prépare un nouveau one-man-show. Mais c’est avec les autres qu’il excelle. Celui qui a fait du « Parlement du rire » de Canal+ un phénomène continental veut ouvrir une école à Niamey et un Comedy Club à Abidjan, où Paris Match Afrique l’a accompagné. Son but : faire émerger une scène d’humoristes 100 % africaine. Abidjan, le 25 mai. Après une carrière en France, l’humoriste nigérien vit en Afrique, au plus près de sa famille.
Paris Match. “Le Parlement du rire” est une satire, un moyen pour vous de critiquer tout en subtilité les institutions africaines…Mamane. L’humour est la plus belle arme que l’on puisse utiliser ! C’est la politesse du désespoir. Quand on est au fond du trou, la lumière c’est le rire. Au “Parlement”, on cherche toujours le mot d’esprit qui va permettre d’espérer et de s’en sortir. C’est plus que nécessaire en Afrique. Ici, on m’appelle “Monsieur le Président” [du “Parlement du rire”] et on souhaite que je parle des chefs d’Etat et de leurs actions, mais aussi de tout ce qui ne marche pas ou plus sur notre continent. C’est grisant et surtout nécessaire pour éveiller les consciences.
De quand date votre engagement ?Je crois bien de toujours ! Mon père était diplomate, j’ai passé une partie de mon enfance au Niger, puis en Côte d’Ivoire et au Cameroun. Mon père rapportait des journaux comme “Le Monde” et “Jeune Afrique”, alors je m’imprégnais de ces lectures. Je lisais aussi beaucoup de romans, je regardais la BBC, j’écoutais RFI et les infos en haoussa, ma langue maternelle… Bref, je suis devenu très vite un enfant concerné. Nous, les Nigériens, nous avons ce tropisme politique. Les syndicats sont très forts, c’est notre côté français ! On râle tout le temps ! Chez moi, de mes sketchs à mes chroniques, tout part d’une colère.
Humoriste, chroniqueur, polémiste, c’était donc une évidence ?Difficile de dire l’inverse aujourd’hui [Rires.] Mais, au départ, c’était loin d’être le cas. Je n’ai jamais rêvé de faire de la scène. Quand j’ai quitté l’Afrique pour terminer mes études en biologie végétale, je ne pensais pas du tout à cette carrière. Je suis arrivé à Montpellier, inscrit en agronomie, persuadé que j’allais écrire ma thèse ; je voulais devenir scientifique à Niamey ! Mais mon année de DEA m’a dégoûté de la vie de labo… Le début de la fin ! J’ai alors commencé à faire de la scène, écrit mon premier sketch en 1998 et chopé le virus.
Vous êtes né au Niger, à Agadez. Vous avez eu une enfance privilégiée. Pourquoi avoir quitté ce pays que vous aimez tant ?Quand mon père est devenu préfet, on a été obligé de le suivre ! Au Niger, je ne suis jamais resté plus de trois mois dans une ville. Nous étions réellement des itinérants ! Je me faisais des amis un peu partout. Mais il est vrai que, aujourd’hui, quand j’y repense, à l’inverse de beaucoup de gens je n’ai aucun ami d’enfance. Puis mon père a été nommé ambassadeur du Niger en Côte d’Ivoire, puis au Cameroun et au Nigeria… J’ai finalement toujours suivi ! Sans souffrance, ni trop de regrets.
Etes-vous croyant ?Ma famille est très croyante et je suis moi-même musulman. Mon prénom a d’ailleurs une signification. Mamane, en haoussa, veut dire Mohamed, et c’est mon prénom à l’état-civil ! Mais au Niger, tout le monde m’appelle Mamane. Alors, quand j’ai dû choisir un nom de scène, je l’ai choisi comme une évidence pour rendre hommage à mes racines.
Après une longue période en France, où vous avez une maison, à Montauban, vous décidez de rentrer en Afrique…C’est un retour professionnel et affectif. Je ne me voyais pas continuer une carrière en France en laissant l’Afrique derrière moi. Je suis aujourd’hui en paix avec moi-même. Je voulais venir m’engager sur le terrain, rendre à l’Afrique ce qu’elle m’a donné. Je suis parti avec une bourse d’Etat du Niger et je ne suis pas devenu le physiologiste que j’aurais dû devenir. Donc il faut que je sois là pour mon pays, en professionnalisant l’humour ! D’abord en Côte d’Ivoire, puis au Niger. Aujourd’hui, ce n’est qu’une première étape.
Une première étape qui va vous permettre de créer une école d’humour au Niger ! Idéalement, j’aimerais que l’école sorte du sol en 2019. J’ai déjà l’accord du gouvernement, les plans, le lieu… Tout est prêt ! L’établissement sera en périphérie de Niamey, sur 7 000 mètres carrés, avec un théâtre de verdure, une dizaine de chambres pour les internes, un auditorium, deux salles de classe, une salle de spectacle ouverte ou encore des bureaux administratifs. Et, évidemment, je donnerai des cours ! On sélectionnera des élèves confirmés, mais aussi des débutants. Je souhaite donner sa chance à tout le monde.
Est-ce que créer une école de ce type au Niger est plus compliqué qu’ailleurs ?Rien n’est simple. Mais si on se dit que c’est difficile, on ne fait rien. Pourquoi les Africains aujourd’hui tentent-ils de passer la Méditerranée parfois au prix de leur vie ? Car l’avenir en Afrique est bouché. Pourquoi rejoignent-ils les groupes terroristes Daech ou Aqmi ? Car l’avenir est bouché. Donc tout ce qui peut donner une perspective est bon à prendre. Je veux créer une économie de l’humour et je vais y arriver.
Est-ce que vous inculquez cet engagement à vos enfants ?Je leur donne le goût de la lecture, comme mes parents à l’époque. Rien de plus, rien de moins. A l’heure des tablettes ou des Smartphone, je trouve que c’est fondamental. La lecture crée un lien avec l’autre et de l’empathie. Ils ont 8 et 12 ans, c’est un peu tôt, mais ils me voient écouter la radio tout le temps et regarder les infos… Comme on dit, les chiens ne font pas des chats !
J’ai entendu dire que vous souhaitiez aussi ouvrir un Comedy Club à Abidjan !Totalement. Et à l’américaine ! Si vous voulez tout de suite aller voir un spectacle ici, ce n’est pas possible. Il n’existe rien, aucune salle, aucune programmation. Une fois cette première salle lancée, je ferai la même chose à Niamey puis au Burkina. Car il faut développer la culture en Afrique à tout prix ! Cela doit être une de nos priorités ces prochaines années.
Certaines personnes vous critiquent, notamment parce que vous parlez toujours des choses qui ne vont pas en Afrique. Que répondez-vous à vos détracteurs ?J’ai choisi mon camp ! Je ne suis pas ministre du Tourisme. Si tout va bien, on évite d’aller chez le médecin. Ici c’est pareil, le constat est le même. Je me dois de dire ce qui ne va pas. Et je suis désolé que des opposants au pouvoir en place soient en prison, que les enfants des plus riches soient scolarisés à l’étranger, qu’au moindre pépin de santé nos dirigeants partent se soigner à Neuilly, à Washington ou en Chine… En attendant, on ne fait rien pour le continent et aucun chef d’Etat ne meurt sur le territoire africain.
Auriez-vous un conseil à donner à l’Afrique ?Il faut qu’elle fonce, qu’on arrête d’attendre que les autres pays le fassent pour nous. Si on veut être humoriste, producteur ou monter son business, c’est possible. Mais avant tout, l’école. C’est tellement important !
Quel est votre prochain défi ?C’est mon seul en scène : “Frontières”. Je pars de la conférence de Berlin de 1884, où les grandes puissances se sont partagé l’Afrique, et je fais ensuite des allers et retours entre hier et aujourd’hui. J’explique les noms de nos pays, les forces en présence et certains épisodes. C’est un spectacle politique qui répond à deux questions : comment sont nées nos frontières et, surtout, comment influent-elles sur notre quotidien aujourd’hui ?
Comment jugez-vous l’épisode de la décolonisation ?C’est un des grands fiascos de l’Histoire. On dit souvent qu’on a eu l’indépendance ou qu’on nous l’a donnée. Là est le véritable problème. On ne nous a rien donné, nous ne sommes rien allés chercher, tout est dans la longueur de la laisse ! C’est cela qu’on appelle Françafrique ou néocolonialisme. Aujourd’hui, il y a une réelle colère de la jeunesse africaine dans les universités et chez les érudits. Tous ont le sens des mots, l’analyse et la conscience que tout est possible.
Où vous voyez-vous dans dix ans ?En Afrique, c’est certain ! Je ne pourrai plus jamais quitter ce continent. La France fait aussi partie de moi, je monte d’ailleurs une collaboration avec Jérémy Ferrari. Mais aujourd’hui, ma vie est entre la Côte d’Ivoire, le Niger et le Maroc, dont ma femme est originaire. Quand vous étiez enfant, aviez-vous l’impression que la vie en Afrique était plus simple qu’aujourd’hui ?Absolument.
Quand on vivait à Abidjan, j’étais à l’école primaire et, pourtant, je m’en souviens, je pouvais sortir à pied, prendre le bus, partir pour la journée… Encore plus jeune, au Niger, je faisais du vélo sur la route qui menait à la frontière du Nigeria. On partait le plus loin possible jusqu’à l’épuisement ! Aujourd’hui, c’est impensable. On vit dans une insécurité constante.
Votre plus grand souhait ?Que les humoristes africains puissent enfin vivre de leur art ! Et, pour ma part, entre la radio, le Comedy Club, l’école et le spectacle à venir, je vais tenter de dormir un peu !
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