Le décès au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yopougon, le mercredi 30 janvier 2019, de Diakité Issouf, chauffeur de mini-car gbaka, accidenté, a provoqué une colère noire chez les chauffeurs, au point de mettre, sens dessus dessous, le service des urgences. Le vendredi 1er février 2019, son père Diakité Seydou, agent de Sitarail, est revenu sur ce qui s’est passé.
Qu’est-ce qui s’est passé jusqu’à ce que votre fils rende l’âme?
Le lundi 28 janvier, mon fils, chauffeur de Gbaka, allait dans le sens d’Abobo, a été pris par un camion remorque qui a traversé le terre-plein et qui a traîné le véhicule sur 150 m, environ. Mon fils faisait partie des blessés qui ont été évacués à l’Hma (ndlr, Hôpital militaire d’Abidjan). Quand j’ai eu l’information, vers 17h, je m’y suis rendu. Je l’ai trouvé dans un état lamentable et son frère aîné m’a appris qu’il avait déjà dépensé 50 000 francs dont 34 000 francs en médicaments, pourtant.
Qu’avez-vous fait?
J’ai demandé au médecin ce qu’il fallait faire pour sauver Issouf. Il a dit qu’il fallait l’évacuer en réanimation, au Chu de Yopougon mais que l’ambulance était sortie alors que mon fils était dans le coma, sous un sérum. Aux environs de 23h, l’ambulance arrive. Au moment de l’évacuer, l’ambulancier exige 10 000 francs.
Une fois au Chu de Yopougon, il nous revient qu’il n’y a pas de place en réanimation. Nous avons essayé de négocier pendant une heure, mais rien n’y fit.
Qu’est-ce qui s’est passé, par la suite?
L’ambulancier a proposé de nous conduire au Chu de Treichville et a demandé encore 10 000 francs. Ce que je lui ai versé.
Mais à peine dans ce centre que les vigiles disent qu’il n’y a pas de place. Nous y restons une trentaine de minutes pour voir si une opportunité nous serait offerte. On était vers 24h. Puisqu’il n’y avait pas de solution, nous sommes retournés à l’Hma.
Pourquoi, alors que vous savez que l’Hma n’avait pas les moyens de sauver votre fils?
Nous nous sommes dit qu’il pouvait y avoir une lueur d’espoir. Malheureusement, là-bas, le lit que mon fils occupait a été attribué à un autre demandeur, à notre absence.
On est resté là, à chercher des solutions avec un médecin. Celui-ci m’a informé qu’il y a une clinique à Cocody Danga qui ferait notre affaire. Mais il fallait 1 million 500 mille francs. J’ai trouvé le montant élevé. Cependant, j’ai émis un avis favorable. On attendait alors le jour pour mettre à exécution cette décision.
Mardi, il s’est trouvé qu’une nouvelle équipe est montée et a prescrit de nouvelles ordonnances avec à la clé, un bulletin pour faire un scanner au Chu de Treichville. Mais il fallait une ambulance médicalisée des Samu (ndlr Service d’aide médicale urgente).
Avez-vous pu avoir aussitôt l’ambulance?
Non. Le temps passait et j’ai demandé au médecin s’il n’y avait pas une autre solution pour l’évacuation de mon fils.
Il a souligné qu’ils ont des relations avec le privé et que cela était possible, mais qu’il fallait 60 000 francs pour le scanner et d’autres frais, le tout à 150 000 francs. J’ai négocié et nous nous sommes entendus sur 125 000 francs.
Pendant ce temps, les deux ambulances sont arrivées, avec celle du Samu, 5 minutes, plus tard que l’autre. Nous avons opté pour l’ambulance privée.
J’ai versé 100 000 francs à l’ambulancier et promis de payer les 25 000 francs restants, une fois à destination.
L’évacuation a-t-elle été possible?
Oui. Nous avons effectué le déplacement du Chu de Treichville, pour le scanner. Mais à notre arrivée, peu après 18h, on nous apprend qu’il se faisait tard et qu’il fallait attendre le lendemain.
L’ambulancier entre en action et plaide. On finit par nous accepter. Autour de 20h, le scanner est fait. Nous nous rendons au Chu de Yopougon.
Qu’est-ce qui explique votre non retour à l’Hma ?
J’ai oublié de vous dire que le médecin nous avait recommandé d’aller au Chu de Yopougon, en réanimation, après le scanner. Là-bas, vers 23h, on nous informe encore qu’il n’y pas de place. Je vous rappelle que l’accident s’est produit, lundi soir et on était mardi nuit. Nous avons négocié et nous avons pu avoir un lit aux urgences chirurgicales.
Avez-vous déboursé de l’argent pour avoir cette place?
Non, je n’ai rien payé. Mon fils, installé, a poursuivi son traitement avec les médicaments qui avaient été achetés, jusqu’à mercredi matin.
On nous a fait savoir que jusqu’à midi, il se pourrait que nous ayons une place en réanimation. Nous sommes restés, en entretenant cet espoir. Malheureusement, jusqu’à l’après-midi, rien n’a changé. J’ai donc demandé, s’il n’était pas possible d’avoir une clinique privée.
Il m’a été répondu qu’au quartier Maroc, un médecin à la retraite a une clinique où il joue à fond la carte du social.
Avez-vous été dans cette clinique?
Malheureusement, non. Puisque quand on m’a remis une ordonnance, le temps de sortir des urgences pour appeler le petit frère de Issouf afin qu’il aille acheter les médicaments, le médecin m’a rappelé et cette fois, dans son bureau pour me dire Yako (ndlr, condoléances en langue locale) parce que mon fils venait de rendre l’âme. Je suis allé donner l’information aux camarades de Issouf.
Comment ont-ils réagi?
Il faut dire qu’ils sont arrivés vers 16h40, après le décès de l’enfant à 16h35. En fait, un groupe était venu et quand il a appris qu’il était question d’aller dans une clinique, les chauffeurs ont été informés et ils sont allés chercher de l’argent. C’est cet argent qu’ils ont apporté et malheureusement, ils ont appris la mort de leur camarade. Ils étaient alors fâchés. Ils ont crié que les médecins doivent réveiller le corps. Dans leur colère, ils sont allés tirer le corps pour vouloir l’embarquer à Anyama, puisqu’il n’y avait plus rien à faire. Qu’avez-vous fait? Je les ai calmés. Je me suis mis à genoux pour leur demander pardon et ils ont laissé le corps.
Etaient-ils armés de couteau?
Non, ce sont des chauffeurs. Leur responsable a dit à la police qui est arrivée, entre temps, qu’il avait sous sa responsabilité 150 chauffeurs et que ce sont des gens qui travaillent et qui ont des familles. Ce ne sont pas des ‘’ microbes'’ (ndlr, enfants en conflit avec la loi), des bandits comme on en entend parler ici et là. Ils disaient manifester leur colère pour qu’on sache que ça ne va pas dans les hôpitaux.
Etes-vous rentrés avec le corps, ce mercredi à Anyama?
Non, il nous a été demandé de revenir jeudi pour prendre le certificat de décès et c’est ce que nous avons fait. J’ai appris, sur place que des agents ont reçu des coups de poing. J’ai présenté des excuses.
Avez-vous versé de l’argent pour avoir le certificat de décès et pour prendre le corps?
Je n’ai rien payé pour avoir le certificat de décès. Mais j’ai payé 65 000 francs pour avoir le corps.
Qui a encaissé cette somme?
Quand jeudi, je suis arrivé, le directeur général du Chu m’a reçu. Il m’a signifié que le corps est entre les mains de Ivosep, à la morgue. Et que cela ne ressortit pas de sa compétence. Nous y étions, le matin et on nous a demandé de payer 162 000 francs. Le Directeur général nous a encouragés à aller négocier.
Quand nous y sommes retournés, ce sont les policiers qui sont allés négocier pour nous. Et quand ils sont revenus vers nous, ils nous ont dit d’aller voir la caissière pour lui dire ce que nous pouvons payer.
Une fois à la caisse, la caissière nous a demandé ce que nous pouvons payer et nous lui avons présenté 65 000 francs. Elle a pris l’argent.
Le corps vous a-t-il été remis sur le champ?
Non. Il y avait quelques papiers à réunir. Mais vers 17h30, nous sommes allés avec le corps à Anyama. Et comme il saignait, nous avons procédé à l’inhumation à 19h30, ce jeudi.
Quelle leçon tirez-vous de ce qui s’est passé?
Je n’accuse pas le Chu. Mais je me dis qu’il y a eu trop de lenteur dans les interventions. Je suis un père qui a un coeur meurti pour avoir perdu un de ses fils âgé de 24 ans. Les gens ont toujours dénoncé les pratiques dans nos hôpitaux. Aujourd’hui, j’en suis victime. Ce n’est pas bien ce qu’ils ont fait. L’appareil sanitaire n’est pas bon dans mon pays.
Que proposez-vous?
Qu’on essaie de revoir la manière de recevoir les malades et leurs parents dans les urgences. Quand on parle d’urgence, cela suppose qu’on abandonne tout pour s’occuper du malade qui arrive. Quand il y a négligence, on assiste à ce qui s’est passé.
Serait-ce raisonnable, pour vous de vous en prendre aux médecins alors qu’il n’y avait pas de place en réanimation dans les Chu, dans votre cas?
Il y a eu lenteur dans les interventions. Et c’est quand les parents font le constat qu’on ne s’intéresse pas à leur malade qu’ils sont alors tentés de proposer de l’argent aux agents pour que celui-ci soit rapidement pris en charge. On ne peut pas dire non plus que c’est parce que je n’avais pas d’argent que mon fils est décédé. Et puis je vous apprends que des parents de malades applaudissaient quand les chauffeurs manifestaient leur colère aux urgences parce qu’ils avaient le sentiment d’avoir été abandonnés, aussi.
Réalisée par Dominique FADEGNON
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