Désirée N. est résidente dans la commune de Yopougon au nord d'Abidjan. Elle est rédactrice publicitaire pour une agence de communication à Cocody (commune présidentielle). Du lundi au vendredi, elle emprunte les minicars de transport en commun appelés à Abidjan « gbaka ». Mais au delà de l'embouteillage quasi quotidien en quittant Yopougon, elle vit un autre problème. Celui de la monnaie à l'issue du paiement du titre de transport. « C'est une réelle angoisse de ne pas avoir la monnaie exacte quand je monte dans un gbaka », raconte cette mère de famille avec agacement. La conséquence de ne pas avoir la monnaie exacte est que certains passagers se voient mis ensemble et contraints de se partager un montant global équivalant à la monnaie que leur doit le transporteur. Suite logique de cette situation, la perte de temps à trouver les moyens de se départager à l'heure du travail.
Où sont donc les pièces de monnaie? Car, le secteur du transport n'est pas le seul touché par cette situation. Des supermarchés aux pharmacies en passant par les étals de marchés, la question de la monnaie se pose. Il ressort des investigations un triangle de business : apprenti « gbaka » - vendeuses de papiers mouchoirs - mendiants.
« Ils échangent leurs pièces d'argent contre des billets avec les vendeuses d'eau glacée »
Un apprenti de gbaka de la ligne Anyama-Adjamé fait une confidence au terme d'un voyage. « Quand les apprentis de gbakas arrivent à leur destination après un voyage, ils échangent leurs pièces d'argent contre des billets avec les vendeuses d'eau glacée, de pochettes et de diverses friandises avec qui ils ont des accointances dans la gare », révèle celui-ci. C'est la raison principale qui selon lui explique que les jeunes vendeuses en question ont toujours la monnaie. C'est ce train-train quotidien qui anime les gares à en croire l'informateur.
Ainsi, ces vendeuses pièces d'argent en main, se baladent autour des minicars en pour écouler leurs marchandises. « Tonton, 5 mille, 10 mille, y'a monnaie. » tel est le refrain régulièrement entendu par les usagers des transports en commun à Abidjan. La preuve est donnée par Patrick M, qui raconte qu'alors qu'il était « dans une file de passagers en partance pour Marcory (sud d'Abidjan) , une jeune vendeuse de pochettes a proposé de faire la monnaie de 5 000 Fifa pour celui qui voudrait acheter 3 pochettes d'une valeur totale de 300 Fcfa. Les personnes étaient étonnées et ont fait des commentaires faisant croire que ce sont ces dernières qui sont à la base de la pénurie de monnaie ».
Certains transporteurs et même des membres des syndicats de transporteurs de l'avis de D Solo, vendeur de friperie, s'adonnent également à la vente de monnaie. Les mendiants proposent la monnaie avec un taux de 10% d'intérêt Les apprentis de gbaka, les transporteurs et syndicats ne sont pas les seuls mis en cause.
Les mendiants sont également accusés de vendre la monnaie moyennant un taux d'intérêt de 10%. « Quand je n'ai pas de pièces d'argent, je me rends à la grande mosquée d'Adjamé chez les mendiants. Ils me font la monnaie avec un taux d'intérêt de 10%. Il m'arrive également de leur faire une offrande en faisant la monnaie dans le bol qu'ils ont placé devant eux. Quand je donne 500 Fcfa pour une offrande, je repars avec 400 Fcfa », raconte sans détours I. S qui gère un kiosque à café à la gare routière à Adjamé. Cette assertion est adoubée par celle de B A, élève au lycée moderne d'Abobo. Elle révèle que pour se déplacer avec la monnaie, elle prèfère faire la monnaie avec les mendiants en faisant un ''sraca'' (sacrifice, don, offrande en langue malinké du nord de la Côte d'Ivoire). « Quand je vais vers un mendiant, je lui dis que je veux lui donner de l'argent mais que je n'ai pas la monnaie exacte. Généralement, en pareilles circonstances, il demande la valeur de votre argent, regarde le contenu de son assiette. S'il peut donner une suite favorable à la requête, alors il donne son accord et fait la monnaie », explique l'élève.
Alors que plusieurs personnes font des pieds et mains pour trouver de la monnaie, d'autres la commercialisent. Cette pratique en attendant que le gouvernement réagisse continue de prospérer dans les milieux des commerçants et des transporteurs.
Jérémy Junior
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